Recours contre un avis d'inaptitude
mardi 28 mai 2024
Cass. soc., n° 22-22.321 du 22 mai 2024 - Recours contre un avis d'inaptitude et indisponibilité des MIRT : possible désignation par le CPH d'un autre médecin pour l'exécution d'une mesure d'instruction
Conformément à l'article L. 4624-7 du Code du travail, le Conseil de prud'hommes (CPH), saisi selon la procédure accélérée au fond d'une contestation d'un avis médical émis par le médecin du travail, peut confier toute mesure d'instruction au médecin-inspecteur du travail (MIRT) territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence.
En cas d'indisponibilité du MIRT ou en cas de récusation de celui-ci, le CPH statuant selon la procédure accélérée au fond peut désigner un autre MIRT que celui qui est territorialement compétent (article R. 4624-45-2 dudit Code).
Dans un arrêt publié le 22 mai 2024, la Cour de cassation précise qu’à l’occasion d’une mesure d’instruction ainsi ordonnée, si le juge constate qu’aucun MIRT n’est disponible pour la réaliser, alors il peut valablement désigner un autre médecin pour exécuter cette mesure d’instruction, et ce afin de respecter le droit fondamental garanti par la CEDH (Cour européenne des droits de l'homme) relatif à la durée raisonnable d’une procédure, a fortiori ici qui a lieu en formation accélérée au fond.
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Dans cette affaire, un salarié, qui occupait en dernier lieu un poste d'assistant clientèle au sein d’une agence bancaire, est à la suite d'un arrêt de travail consécutif à un accident domestique, déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, dont l'avis précisait que :
« l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans l'emploi » à l'issue d'une visite de reprise.
Le salarié a saisi la juridiction prud'homale selon la procédure accélérée au fond d'une contestation de l'avis du médecin du travail avant d’être licencié, moins d’un mois après, pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par décision avant dire droit, le CPH a confié à un MIRT une mesure d'instruction.
Le MIRT en question n’exerçant plus et après constaté le refus de plusieurs MIRT de prendre en charge la mesure d'instruction, le CPH l'a confiée à un médecin généraliste, inscrit sur la liste des experts près la Cour d'appel.
Contestant cette expertise, l’employeur demande à la juridiction prud’homale de l’annuler. A l’appui de sa demande, l’employeur fait valoir que le MIRT est le seul professionnel de santé auquel le CPH peut faire appel pour l'éclairer en vue de statuer sur la contestation d'un avis d'inaptitude émis par le médecin du travail dont il est saisi, à l'exclusion de tout autre type de « médecin-expert ».
Or, en l’espèce, le médecin généraliste, à qui la mesure d’instruction a été confiée n’est pas inscrit comme expert en « médecine de la santé ou médecine du travail », n'a pas le titre de médecin du travail, ni d'habilitation, de diplôme ou de qualification particulière en matière de santé ou médecine du travail ».
Dès lors, d’après l’entreprise, toute expertise réalisée par un tiers n'ayant pas qualité de « MIRT » encourt la nullité.
Mais par jugement rendu selon la procédure accélérée au fond par le CPH, confirmé par la Cour d’appel, la demande de nullité de l’expertise est rejetée. Entérinant le rapport déposé par le médecin-expert, les juges du fond ont donc fait droit à la contestation de l’avis formulée par le salarié dans la mesure où les éléments de nature médicale ne justifiaient pas l'avis d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise émis par le médecin du travail.
D’après les juges prud’homaux, le salarié était par conséquent « apte à occuper son poste de travail (assistant clientèle et gestion automates) au sein de l’agence avec les réserves ou aménagements suivants (cumulatifs) :
- reprise à temps partiel ;
- reprise en télétravail ;
- pas de port de charges de plus de 15 kg…. ».
… Tout en rappelant aux parties que l’avis ainsi rendu quant à l'aptitude du salarié se substituait de plein droit à l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail.
La Cour de cassation valide la désignation d’un autre médecin aux motifs de l’indisponibilité caractérisée des MIRT pour réaliser la mesure d'instruction. En effet, les premiers juges avaient d'abord désigné un MIRT régionalement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence, avant de constater qu’il n’exerçait plus. Le CPH s’est, par la suite, heurté au refus, ou au silence valant refus, de tous les MIRT recherchés.
Dès lors, n’ayant trouvé aucun autre MIRT qui accepte la mesure d'instruction et que face à cette situation de blocage, le juge chargé du suivi de « l'expertise » a, valablement, désigné un médecin expert pour exécuter cette mesure afin d’apporter une réponse judiciaire rapide puisque le recours prévu par l'article L. 4624-7 du Code du travail relève de la procédure accélérée au fond. En effet, le juge prud'homal est souvent confronté en cette matière à la question du délai raisonnable.
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Retrouver le texte officiel sur le site de la Cour de cassation
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Récapitulatif des mises en ligne sur KALIPSO du 13 au 24 mai 2024
QUESTION / RÉPONSE
LEGISLATION
JURISPRUDENCE
- Cass. soc., n° 22-18.450 et n° 22-19.430 du 2 mai 2024
Pour se prononcer valablement sur l'existence d'un harcèlement moral, les juges sont tenus de prendre en compte l'ENSEMBLE des faits rapportés par le salarié – Jurisprudence classique - Cass. soc., n° 22-22.321 du 22 mai 2024
Recours contre un avis d'inaptitude et indisponibilité des MIRT : possible désignation par le CPH d'un autre médecin pour l'exécution d'une mesure d'instruction - Cass. soc., n° 22-18.459 du 2 mai 2024
Quand une enquête interne conclut à l'absence de tout harcèlement moral : quid du licenciement du salarié intervenu à la suite de cette dénonciation…. - Cass. soc., n° 22-17.584 du 2 mai 2024
De jurisprudence constante, la caractérisation du harcèlement moral est soumise à l'appréciation souveraine des juges du fond tenus d'examiner l'ensemble des éléments invoqués - Cass. soc., n° 22-11.652 du 15 mai 2024
Une inaptitude d'un salarié reconnu travailleur handicapé : une discrimination peut être retenue si l'employeur refuse de prendre des mesures d'aménagements raisonnables - Cass. soc., n° 23-10.886 du 7 mai 2024
Un licenciement disciplinaire en rapport, en réalité, avec l'état de santé du salarié est discriminatoire - Cass. soc., n° 22-23.640 du 7 mai 2024
Discrimination en raison du handicap : le barème d'indemnisation ne s'applique pas en cas de licenciement nul - Cass. soc., n° 22-21.992 du 7 mai 2024
Pour appliquer la législation protectrice AT/MP en cas d'inaptitude d'origine professionnelle, les juges du fond doivent vérifier les conditions nécessaires - Cass. soc., n° 22-21.479 du 7 mai 2024
Salarié navigant de l'aviation civile inapte : charge au médecin du travail de statuer sur l'inaptitude et aux représentants du personnel de donner leur avis sur le reclassement - Cass. soc., n° 22-20.857 du 7 mai 2024
Inaptitude médicale d'un salarié sur son poste initial et reclassement sur un autre poste assorti d'une période probatoire expressément acceptée - Cass. soc., n° 22-10.905 du 7 mai 2024
Réparation du préjudice subi par le salarié inapte en cas de non-respect par l'employeur de son obligation de notification écrite des motifs de non-reclassement - Cass. soc., n° 22-22.641 du 7 mai 2024
Changement d'employeur au sein d'un même groupe : à défaut de convention tripartite, la rupture du contrat de travail pendant un arrêt « AT » est nulle - Cass. soc., n° 22-24.394 du 7 mai 2024
Action en paiement des salaires un mois après la déclaration d'inaptitude : la Cour de cassation précise le point de départ du délai de prescription