L'examen audiométrique couvert par le secret

lundi 08 juillet 2024

Cass. 2ème civ., n° 22-15.721 du 13 juin 2024 - L'examen audiométrique du TMP n°42 constitue DESORMAIS une pièce médicale, couverte comme telle par le secret – REVIREMENT DE JURISPRUDENCE

Dans un arrêt, soumis à une large publication, en date du 12 juin 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a tranché la question de la conciliation entre :

  • D’une part, le droit de la victime d’une lésion professionnelle (AT/MP) au respect du secret de ses données médicales,

Et ;

  • D’autre part, la mise en œuvre, au bénéfice de l'employeur, du principe du contradictoire ;

… Ce, au cours de la procédure d'instruction au terme de laquelle la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) se prononce sur le caractère professionnel de la maladie prévue ici au tableau n° 42 des maladies professionnelles (relatif à « l’atteinte auditive provoquée par les bruits lésionnels »).

C’est dans ce cadre qu’il est dorénavant jugé que l’audiogramme mentionné au tableau n° 42 des maladies professionnelles constitue un élément du diagnostic couvert par le secret médical. Dès lors, cet examen n’a pas à figurer au dossier constitué par les services administratifs de la Caisse et mis à disposition de l'employeur (Cf. Ancien article R. 441-13 du Code de la sécurité sociale) …

Pour rappel : conformément à l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique, excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance des professionnels intervenant dans le système de santé.

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En l’espèce, la CPAM a, après enquête, a pris en charge, au titre de la législation professionnelle, la maladie déclarée par un salarié au titre du tableau n° 42 des maladies professionnelles : « l’atteinte auditive provoquée par les bruits lésionnels ».

Son employeur a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la Sécurité sociale en avançant le non-respect du principe du contradictoire dans la mesure où la Caisse n’avait pas fait figurer les examens audiométriques au dossier mis à sa disposition.

Accueillant le recours, la Cour d’appel a déclaré la décision de prise de en charge de la maladie de la victime inopposable à l’employeur, aux motifs que les examens audiométriques réalisés sur la victime et destinés à caractériser la maladie conformément au tableau n° 42 sont des éléments constitutifs de la maladie et susceptibles de faire grief à l'employeur.

La Caisse s’est pourvue en cassation.

Afin de statuer sur cette affaire, la Cour de cassation rappelle sa jurisprudence, jusqu’à présent, constante. Ainsi, lors de l'instruction d'une demande de reconnaissance du caractère professionnel de l'affection désignée par le tableau n° 42, le dossier constitué par les services administratifs de la CPAM - en application de l'ancien article R. 441-13 du Code de la sécurité sociale, doit, à peine d'inopposabilité de la décision de prise en charge, comprendre les audiogrammes obtenus lors des audiométries qui doivent être réalisées dans les conditions et délais fixés par ce tableau.

Cependant, la mise en œuvre de cette jurisprudence soulève des difficultés au regard des obligations déontologiques auxquelles sont soumis les professionnels de santé.

Et, ce d’autant plus que dans d’autres affaires, il a été jugé que, constituant des éléments de diagnostic, certains examens complémentaires n’avaient pas à figurer dans les pièces du dossier susmentionné (c’est le cas de l'examen tomodensitométrique mentionné au tableau n° 30 B des MP ; ou encore de l'examen d'imagerie par résonnance magnétique (IRM) mentionné au tableau n° 57 A des MP).

  1. lors, dans cet arrêt publié le 12 juin 2024, la deuxième chambre de la Haute Cour décide de reconsidérer sa jurisprudence au sujet de l’audiogramme mentionné au tableau n° 42 des maladies professionnelles.

A noter : le tableau n° 42 des maladies professionnelles prévoit que le diagnostic de l'hypoacousie de perception par lésion cochléaire irréversible, accompagnée ou non d'acouphènes, est établi par une audiométrie tonale liminaire et une audiométrie vocale qui doivent être concordantes, réalisée après une cessation d'exposition au bruit lésionnel d'au moins 3 jours et devant faire apparaître sur la meilleure oreille un déficit d'au moins 35 dB.

En effet, l'audiogramme, qui comporte des informations sur le diagnostic de la maladie concernant la victime, venues à la connaissance des professionnels de santé, est une pièce médicale, couverte comme telle par le secret.

En outre, si la transmission aux services administratifs de la CPAM du certificat médical initial indiquant la nature de la maladie (Cf. Article L. 461-5 du Code de la sécurité sociale), il n’est pas autorisé, en revanche, la détention de l'audiogramme par lesdits services ni sa communication à l'employeur par le praticien-conseil au cours de la procédure d'instruction. Aucune autre disposition législative n'autorise la levée du secret médical. Ni l'accord de la victime ni son absence d'opposition à la levée du secret médical ne peuvent résulter de la simple demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.

Enfin, les Hauts magistrats rappellent que l'équilibre entre le droit de la victime au respect du secret médical et le droit de l'employeur à une procédure contradictoire dès le stade de l'instruction de la déclaration de la MP par la CPAM est préservé par la possibilité pour l'employeur contestant le caractère professionnel de la maladie de solliciter du juge la désignation d'un expert à qui seront remises les pièces composant le dossier médical de la victime.

Par conséquent, par cet arrêt, la Cour de cassation opère un revirement de sa jurisprudence en considérant, désormais que :

« L'audiogramme mentionné tableau n° 42 des maladies professionnelles constitue un élément du diagnostic couvert par le secret médical ; de sorte qu'il n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la Caisse ».

Eu égard cette nouvelle position jurisprudentielle, l’arrêt d’appel doit donc être annulé.

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Retrouver le texte officiel sur Légifrance

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Récapitulatif des mises en ligne sur KALIPSO du 24 juin au 5 juillet 2024

LÉGISLATION & RÉGLEMENTATION

· Arrêté du 24 juin 2024 modifiant l'arrêté du 4 décembre 2020 fixant au ministère de la défense l'organisation et les conditions de fonctionnement de l'exercice de la médecine de prévention au profit du personnel militaire

· Arrêté du 22 avril 2024 relatif aux travaux hyperbares effectués sans immersion (mention D) Arrêté du 29 mai 2024 relatif aux interventions hyperbares sans immersion effectuées dans le domaine de la santé (mention C)


 

JURISPRUDENCE

· Cass. soc., n° 22-22.276 du 12 juin 2024 La législation protectrice AT/MP ne s'applique que si l'employeur a connaissance, au moment du licenciement, de l'origine professionnelle au moins partielle de l'inaptitude – Jurisprudence classique

· Cass. soc., n° 22-18.064 du 19 juin 2024 Le médecin du travail peut statuer sur l'inaptitude d'un salarié navigant de l'aviation civile en une seule visite après avis du Conseil médical de l'aéronautique civile

· Cass. soc., n° 22-23.143 du 19 juin 2024 Les mesures individuelles préconisées par le médecin du travail ne permettent pas à l'employeur d'imposer une modification du contrat du salarié déclaré « apte »

· Cass. soc., n° 22-18.896 et n° 23-13.405 du 12 juin 2024 Rappel : pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, les juges doit bien examiner l'ensemble des faits invoqués par le salarié

· Cass. soc., n° 22-24.599, n° 22-24.603 et n° 22-24.605 du 12 juin 2024 Droit de retrait justifié pendant la période de pandémie de covid-19 lorsque les mesures de protection n'étaient pas suffisantes ou tardives

· Cass. 2ème civ., n° 22-11.736 du 6 juin 2024 Une preuve déloyale (enregistrement téléphonique) peut être utilisée pour démontrer des violences à condition qu'elle soit indispensable et proportionnée au but poursuivi – Confirmation jurisprudentielle

· Cass. 2ème civ., n° 22-14.500 du 6 juin 2024 Pas de pension de vieillesse pour l'assuré déclaré inapte dont le contrat de travail n'a pas encore été rompu

· Cass. 2ème civ., n° 22-15.721 du 13 juin 2024 L'examen audiométrique du TMP n°42 constitue DESORMAIS une pièce médicale, couverte comme telle par le secret – REVIREMENT DE JURISPRUDENCE

· Cass. soc., n° 22-18.138 du 12 juin 2024 En cas d'utilisation d'une mention expresse, l'employeur « doit » licencier le salarié inapte sans le maintenir à son poste et sans chercher à la reclasser