Paul FRIMAT : « Une nouvelle vie en santé-travail »
mardi 17 décembre 2024
Paul FRIMAT, président de l’ISTNF
L’ISTNF a fêté ses 80 ans en 2022. On entend dire parfois que le chat aurait sept vies, voire neuf selon les cultures. Cette croyance s'explique par la capacité qu’a cet animal d’une grande agilité à se sortir des situations les plus périlleuses. Si l’Institut était un chat, il serait sur le point de démarrer sa cinquième vie, au gré des évolutions et des avancées de la santé au travail.
L'Institut de médecine du travail a été fondé à Lille par les professeurs Jules Leclercq et Marcel Marchand, dans les années 40, c’est là on peut dire, qu’il entame sa première vie. Le rôle de l'Institut a consisté au tout début à développer un laboratoire de toxicologie industrielle dans les locaux de l'université. Les professeurs Marcel Marchand, Daniel Furon, puis Jean-Marie Haguenoer, ont joué un rôle important dans la construction et le déploiement de cet outil. L’Institut a développé également dans le même temps, un service de documentation spécifique sur la problématique de la médecine du travail. A l'époque, la Caisse régionale d’assurance maladie n'avait pas de laboratoire, ni de bureau de documentation, c’est pourquoi un partenariat fort s’est développé avec l’Institut et l'université. Notre association a fonctionné sous ce format pendant plusieurs décennies.
Au milieu des années 1980 une deuxième vie a débuté pour l'Institut, qui est devenu une structure de recherche. On a créé, avec l'aide de Michel Delebarre, qui était ministre du Travail, et de Hubert Curien, qui était ministre de la Recherche, un Centre de recherches en santé travail ergonomie - qui devint ensuite santé travail environnement -, le Cereste ; ce groupement d'intérêt public réunissait tout à la fois la Région, la Cram, le CHU, l'université, les services de médecine du travail et l'Institut de médecine du travail. C'est la période durant laquelle on a enfin compris que la médecine du travail était trop médico-médicale alors que la problématique du travail était toute autre. Grâce au Cereste on a développé des axes comme l'épidémiologie, la psychologie, l'ergonomie, et le droit en santé au travail. Le Cereste a permis de conforter une dynamique de recherches pluridisciplinaires.
A la fin du Cereste, dans les années 2000, l'Institut a démarré sa troisième vie, celle des plans État-Région. L’Institut s’était rapproché des services de santé autour du congrès national de médecine du travail organisé à Lille en juin 2000. On a changé les statuts de l'Institut, les services de médecine du travail sont devenus des « membres actifs » de l’association. L’Institut a réorienté ses activités vers la formation, en particulier pour appuyer l’essor de nouvelles professions, autres que le médecin du travail, notamment les infirmiers de santé au travail. A côté de cette problématique de formation, on a développé ce qu'on appelle maintenant les axes de mutualisation des services de santé au travail. L'idée c'était d'aider les services à mieux répondre aux besoins de santé des entreprises, car la médecine du travail se résumait encore à la visite médicale systématique annuelle.
La visite médicale systématique annuelle - je l'appelais la « visite tampon » -, dès la création de la médecine du travail, en caractérisant la discipline, a empêché le déploiement d’actions de prévention. C’est encore un enjeu, à l'heure actuelle, car il faut faire comprendre à l'ensemble des acteurs de l’entreprise, employeurs et salariés, que la médecine du travail a pour objectif de s'occuper du travail, ce qui nécessite d’avoir une approche pluridisciplinaire du travail et de développer des actions mutualisées. Quand j'ai commencé mon activité d’universitaire, à la fin des années 70, il existait presque 30 services de médecine du travail, de taille très différente, dans le Nord – Pas-de-Calais et la Picardie. Les services ont peu à peu fusionné, ce qui leur a permis d’unifier leurs approches et de rendre leurs actions plus homogènes.
Le Conseil régional du Nord – Pas-de-Calais avait compris l’enjeu et s’était lancé dans un programme soutenant la santé au travail, parallèlement au plan santé-travail, au même titre que d’autres grandes problématiques de santé, comme les addictions ou la santé des jeunes. Cela a représenté une aide très importante pour la santé au travail en région ; avec les services de santé au travail nous avons pu développer des actions, que ce soit sur des problématiques de santé publique, ou autour de la mise en place de nouveaux métiers, comme les assistants en santé-travail, pour aider les entreprises dans la réévaluation du risque, ou dans la prévention de la désinsertion professionnelle, ce que l’on appelait alors le maintien dans l’emploi. Ces modèles expérimentaux, soutenus par la Direction générale du travail, ont permis de préfigurer les grandes lignes de la loi de 2011.
Une quatrième vie est alors apparue pour l’Institut autour des années 2010. La loi de 2011 a été une loi cadre pour la santé-travail : elle a défini les missions des services de santé au travail. Il faut bien se souvenir que les services de santé au travail n'existaient pas sur le plan législatif avant 2011. Avant, il y avait le médecin du travail, point. La loi de 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail a créé les services, en tant que structures chargées de missions identifiées, les a placés au cœur du système de santé, et a créé l'équipe pluridisciplinaire de santé-travail. Une étape venait d’être franchie, mais ce n’était pas suffisant. Le rapport auquel a contribué le professeur Sophie Fantoni-Quinton, centré sur la notion d’aptitude, en 2015, a permis de mettre l’accent sur la nécessité de faire évoluer notre dispositif et de proposer un nouveau modèle, en le faisant comprendre aux politiques.
Charlotte Parmentier-Lecocq, alors députée, co-auteur d’un rapport sur la santé-travail en 2018, est à l'origine d’une proposition de loi qui a donné un nouveau cap à la santé-travail en 2021. Les services de santé au travail, devenus les services de prévention et de santé au travail, ont depuis lors pour objectif de répondre aux besoins de santé des entreprises, ce qui est très différent du texte de 1946. Il s’agit, un, d’aider les entreprises dans leurs démarches d'évaluation du risque professionnel, deux, de conseiller les entreprises, trois, de mettre en place des suivis de santé, et quatre, d’établir la traçabilité des expositions professionnelles. La loi de 2021 a permis aux services de prévention de santé du travail de proposer une offre-socle et a contribué à la mise en place des mesures de certification. On aurait pu aller plus loin dans les politiques d'agrément, comme le font l’ARH, l’ARS, etc. On y arrivera peut-être un jour.
Pour l’Institut, au cours de cette quatrième vie, la formation est devenue un élément extrêmement important. La collaboration avec l’université de Lille et l’Ilis a permis de développer le parcours de licence IST/AST et de faire reconnaitre le domaine Droit santé travail avec le professeur Sophie Fantoni-Quinton. Les décrets d'application de la loi de 2021 ont entraîné des obligations de formation pour les équipes de santé-travail. La mutualisation des moyens et le développement d'actions sont venus appuyer ces démarches, tout en maintenant la diffusion de l'information sur des supports numériques, et l’organisation de journées d'étude thématiques sur des sujets d’actualité. L’ISTNF a passé un conventionnement avec la Carsat Hauts-de-France en 2023, afin d'asseoir certaines pistes, autour de l'évaluation des risques professionnels, de la prévention de la désinsertion professionnelle, ou pour imaginer de nouvelles façons de travailler ensemble, dans un partenariat renouvelé entre les acteurs de prévention en région. L’ISTNF entame une cinquième vie.
De nombreux chantiers restent à mener pour renforcer l’action des services de prévention et de santé au travail. La loi de 2011, confirmée par le texte de 2021, oblige maintenant les services à travailler sur la traçabilité des expositions professionnelles. Le DMST - Dossier médical de santé au travail - devrait normalement être connecté avec l'espace santé du salarié en 2026. Si le salarié est d'accord, le médecin du travail aura accès à son espace santé. Et ça, ce sera une énorme avancée. On estime que 40% d'entreprises n'ont toujours pas de document unique d’évaluation des risques professionnels. Sur ce sujet, on voit bien le rôle primordial qu’ont les services de prévention et de santé au travail pour appuyer les TPE-PME dans leur démarche. Tout l'enjeu sur ce sujet, consiste à pouvoir avancer ensemble, avec l'assurance maladie, les services de prévention et de santé au travail, et l'université, pour améliorer la connaissance des entreprises et renforcer la prévention.
Travailler ensemble permet de disposer d’indicateurs sur certains domaines : prévention, pénibilité, maintien à l’emploi… Le travail collaboratif ne peut se concevoir qu’en lien avec l’ensemble des partenaires de la santé-travail : Dreets, Carsat, MSA, OPPBTP, Aract. L’objectif prioritaire étant de privilégier la prévention par rapport à la réparation.
Le dispositif santé-travail devrait encore évoluer dans les années qui viennent, au gré des gouvernements qui se succèdent. Quel sera son format ? Pour conclure en reprenant la tonalité du début de mon texte, je serai tenté de donner ma langue au chat. La démarche est pourtant ambitieuse et nous avons beaucoup de pistes de travail à engager en 2025.
Au nom de toute l’équipe de l’ISTNF, je vous souhaite une bonne fin d’année 2024 et je vous présente mes meilleurs vœux pour 2025.