Non-respect des dispositions en matière de suivi individuel
lundi 19 juin 2023
Cass. soc., n° 21-23.557 du 7 juin 2023
Le seul constat du non-respect des dispositions en matière de suivi individuel régulier de l'état de santé du travailleur de nuit ouvre-t-il- droit à réparation ?
La Cour de cassation renvoie à la CJUE cette question …
Concernant le droit de l’Union Européenne (UE) :
Selon l'article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les travailleurs de nuit bénéficient d'une évaluation gratuite de leur santé, préalablement à leur affectation et à intervalles réguliers par la suite ».
Concernant le droit national français :
Aux termes de l'article L. 3122-11 du Code du travail :
« Tout travailleur de nuit bénéficie, désormais depuis le 1er janvier 2017, d'un suivi individuel régulier de son état de santé ».
Ce suivi régulier de l’état de santé au travailleur de nuit consiste à la réalisation d’une visite d’information et de prévention (VIP), réalisée par un professionnel de santé au travail, préalablement à son affectation sur le poste, et renouvelée périodiquement tous les 3 ans (articles L. 4624-1 , alinéa 7ème et R. 4624-18 du Code du travail).
- Le seul constat du non-respect des dispositions protectrices en matière de suivi médical en santé au travail pour travail de nuit ouvre-t-il le droit à réparation, conformément à l'article 9 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ?
La Cour de cassation, dans un arrêt publié le 7 juin 2023, sursoit à statuer dans l’attente d’une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dans le cadre d’un renvoi préjudiciel …
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Dans cette affaire, un salarié, agent SSIAP (service de sécurité incendie et d'assistance à personnes) a saisi la Justice prud'homale à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le paiement de diverses indemnités, dont une demande de dommages-intérêts pour modification unilatérale du contrat de travail vers un travail de nuit (son employeur lui imposant des changements fréquents de ses horaires de jour en horaires de nuit) et l’absence de suivi médical renforcé (ex. SMR) lié au travail de nuit. 3 mois plus tard, il est finalement licencié.
Les juges du fond ont débouté le salarié de sa demande en réparation pour modification contractuelle unilatérale vers un travail de nuit et absence de SMR, au motif qu'il ne démontrait pas la réalité et la consistance de son préjudice.
Le requérant se pourvoit alors en cassation en faisant valoir que le seul constat du non-respect des dispositions protectrices en matière de SMR pour travail de nuit ouvre droit, selon lui, à réparation, et ce conformément à l'article 9 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.
La Cour de cassation sursoit à statuer sur le pourvoi et décide de renvoyer à la CJUE les questions suivantes au sujet de l'article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 :
- Ledit article 9 remplit-il les conditions pour produire un effet direct et être invoqué par un travailleur dans un litige le concernant ? ;
- Ledit article 9, doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des législations ou à des pratiques nationales en vertu desquelles, en cas de manquement aux dispositions adoptées pour mettre en œuvre les mesures nécessaires à l'évaluation gratuite de la santé du travailleur, le droit à réparation de ce dernier est subordonné à la preuve du préjudice qui aurait résulté de ce manquement ?
Dans cet arrêt publié le 7 juin dernier, les Hauts magistrats motivent ce renvoi préjudiciel :
D’abord, d’après une jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation, l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (Cass. soc., n° 14-28.293 du 13 avril 2016).
En application de cette jurisprudence, la Cour de cassation a ainsi affirmé en 2018 que le salarié qui n’a pas bénéficié de la visite médicale obligatoire d’embauche en qualité de travailleur de nuit doit prouver un préjudice qui en serait résulté pour lui, afin d’obtenir une indemnisation (Cass. soc., n° 17-15.438 du 27 juin 2018).
Ensuite, selon une jurisprudence constante de la CJUE, la directive 2003/88/CE a pour objet de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs et garantir leur santé et sécurité, par un rapprochement des réglementations nationales concernant, notamment, la durée du temps de travail ; de sorte que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire cause, de ce seul fait, un préjudice au travailleur dès lors qu'il est ainsi porté atteinte à sa sécurité et à sa santé en ce qu'il le prive le travailleur d'un repos suffisant (CJUE, aff. C-214/20 du 11 novembre 2021).
En application de cette jurisprudence issue de la CJUE, la Cour de cassation décide, désormais, que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation (Cass. soc., n° 20-21.636, du 26 janvier 2022 ; Cass. soc., n° 21-22.281 et n° 21-22.912 du 11 mai 2023).
Dès lors, dans ce pourvoi à l’origine de l’arrêt du 7 juin 2023, le salarié soutient que la jurisprudence issue de la CJUE doit nécessairement être transposée en cas de violation des dispositions protectrices de suivi médical renforcé pour travail de nuit, garanties par la directive 2003/88/CE, en ce qu'elles ont le même objet, à savoir la protection de la santé du salarié.
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Pour rappel :
Conformément à l'article R. 3124-15 du Code du travail, le fait de méconnaître les dispositions relatives au travail de nuit est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe, prononcée autant de fois qu'il y a de salariés concernés par l'infraction.
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Retrouver le texte officiel sur le site de la Cour de cassation
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Récapitulatif des mises en ligne sur KALIPSO du du 05 au 16 juin 2023
QUESTION / REPONSE
CRPE : comment est-elle mise en œuvre dans l'entreprise ?
LEGISLATION & REGLEMENTATION
- Arrêté du 1er juin 2023 relatif à la suspension de l'obligation vaccinale contre la COVID-19 pour les étudiants et élèves paramédicaux et dans certaines formations menant à une profession à usage de titre
- Décret n° 2023-452 du 9 juin 2023 relatif aux obligations incombant aux entreprises en matière d'accident de travail et d'affichage sur un chantier
JURISPRUDENCE
- Cass. soc., n° 21-21.191 du 1er juin 2023 Licenciement d'un salarié protégé sans autorisation administrative : l'arrêt de travail et l'inaptitude au poste de travail ne limitent pas le montant de l'indemnité due au salarié
- Cass. soc., n° 21-21.902 du 24 mai 2023 Après son congé maternité la salariée doit être réintégrée sur un poste similaire
- Cass. soc., n° 21-23.784 du 17 mai 2023 Les juges doivent toujours examiner l'ensemble des faits invoqués par le salarié pour se prononcer sur l'existence ou non d'un harcèlement moral
- Cass. soc., n° 21-26.010 du 24 mai 2023 L'application d'un dispositif conventionnellement prévu en cas d'accident du travail « agression » peut être conditionnée à l'existence de lésions persistantes
- Cass. soc., n° 21-21.667 du 24 mai 2023 Les précisions apportées par le médecin du travail suite au constat définitif de l'inaptitude peuvent permettre de justifier l'impossibilité de reclassement
- Cass. soc., n° 21-25.683 du 24 mai 2023 La durée du préavis doublée en faveur d'un salarié handicapé ne s'applique pas en cas de licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle (Jurisprudence constante)
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- Cass. soc., n° 21-24.176 du 24 mai 2023 Inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement : pas de cumul des indemnités conventionnelle et spéciale de licenciement
- Cass. soc., n° 21-23.941 du 24 mai 2023 L'aptitude avec réserves ne permet pas d'imposer une modification du contrat de travail au salarié « apte »
- Cass. soc., n° 21-24.226 du 24 mai 2023 Inaptitude et reclassement : consultation pour avis des représentants du personnel avant toute proposition de reclassement au salarié
- Cass. soc., n° 21-23.438 du 1er juin 2023 Cumul d'indemnités en cas de harcèlement moral avéré et de licenciement nul en lien avec lesdits agissements de harcèlement
