Prendre en considération les préconisations du médecin du travail
lundi 03 juillet 2023
Cass. soc., n° 21-24.279 du 21 juin 2023
Création d'un poste au titre du reclassement d'un salarié inapte : l'employeur doit, désormais, prendre en considération les préconisations du médecin du travail
Par un arrêt publié le 21 juin 2023, les Hauts magistrats de l’ordre judiciaire précisent de manière affirmative, pour la première fois nous semble-t-il, que, eu égard à son obligation de reclassement qui doit être sérieuse et loyale, l'employeur qui propose un poste au salarié déclaré inapte doit s'assurer de la compatibilité de ce poste aux préconisations du médecin du travail, le cas échéant en sollicitant l'avis de ce médecin. Il importe peu, précise la Cour de cassation, que le poste ait été créé lors du reclassement du salarié.
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Dans cette affaire, un salarié, plombier-chauffagiste est victime, 2 ans après son embauche, d'un accident du travail et placé en arrêt de travail à plusieurs reprises, avant d’être déclaré inapte par le médecin du travail. Après proposition d’une solution de reclassement sur un poste d’assistant administratif créé pour lui, solution qu'il a refusée, l’intéressé est licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le salarié a saisi la Justice prud'homale pour contester son licenciement et obtenir paiement de diverses indemnités.
La Cour d’appel fait droit à cette demande en déclarant le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les juges du fond constatent en effet que l'employeur a proposé un poste de reclassement sans s'assurer auprès du médecin du travail de sa compatibilité avec l'état de santé du salarié et n'a pas pris en compte le motif de son refus pour accomplir les diligences nécessaires auprès du médecin du travail et envisager, au besoin, un aménagement du poste proposé en fonction de son avis.
Or, en proposant un poste d'assistant administratif, l'employeur admettait le besoin de création d'un tel poste mais n’ayant pas cherché à l’aménager selon l’avis du médecin du travail, il n’a, par conséquent, pas rempli son obligation de reclassement de manière sérieuse et loyale, ce qui rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Contestant l’arrêt d’appel, l’employeur se pourvoit en cassation en soutenant que les propositions de reclassement faites par l'employeur au-delà de son obligation légale, ne peuvent lui être imputées à faute ni lui être opposées pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne seraient-elles pas compatibles avec l'état de santé du salarié. D’après lui, l'obligation légale de reclassement, qui s'impose à l'employeur lorsqu'un salarié est déclaré inapte à son poste de travail, n'implique pas l'obligation d'envisager la création d'un nouveau poste conforme aux prescriptions du médecin du travail. Si l'employeur décide, au-delà de son obligation légale de reclassement, de proposer un poste qu'il envisage de créer pour le salarié déclaré inapte, le fait qu'il n'ait pas soumis ce poste à l'appréciation du médecin du travail est sans incidence sur le bien-fondé du licenciement.
L’argument de l’employeur est rejeté par la Cour de cassation qui, statuant au visa des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du Code du travail, confirme la Cour d’appel, aux motifs que l’entreprise n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement de manière sérieuse et loyale.
En effet, l'employeur avait proposé au salarié un poste d'assistant administratif créé pour lui ; poste qui impliquait la conduite d'un véhicule dans des conditions et un périmètre non précisés. Or, sans exclure les déplacements, le médecin du travail avait exclu néanmoins un maintien long dans une même position ; de sorte que le salarié, qui avait refusé le poste, avait évoqué l'incompatibilité du poste ainsi proposé avec son état de santé.
En conséquence, manque à son obligation de reclassement, l'employeur qui ne prend pas en compte le motif du refus du salarié et qui ne s'est pas assuré auprès du médecin du travail de la compatibilité de ce poste avec l'état de santé du salarié ou des possibilités d'aménagements qui auraient pu lui être apportées.
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Pour rappel :
La Cour de cassation affirme depuis plusieurs années que toutes précisions et réponses apportées par le médecin du travail, postérieurement au constat régulier de l'inaptitude, sur les possibilités éventuelles de reclassement concourent à la justification par l'employeur de l'impossibilité de reclasser le salarié inapte.
Toutefois, si les réponses du médecin du travail peuvent participer à justifier l’impossibilité de reclassement du salarié inapte, pour autant, elles ne dispensent pas l’employeur de toute recherche de reclassement. Cette obligation doit être sérieuse, loyale, complète et personnalisée, en explorant toutes les possibilités de reclassement tant au niveau du groupe qu’en interne de l’établissement.
Jusqu’à présent, la Cour de cassation semblait « inviter » l’employeur à questionner le médecin du travail sur la compatibilité du poste de reclassement en vue d’être proposé au salarié inapte et ses capacités restantes. Avec cet arrêt du 21 juin dernier, il nous paraît que la position de la Cour de cassation soit davantage tranchée ; de sorte qu’il deviendrait nécessaire de prendre en compte les préconisations médicales et donc d’interroger plus systématiquement le médecin du travail sur les solutions de reclassement quand il existe un doute sur la compatibilité d'un poste avec l'état de santé du salarié inapte.
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Retrouver le texte officiel sur le site de la Cour de cassation
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Récapitulatif des mises en ligne sur KALIPSO du 19 au 30 juin2023
QUESTION / REPONSE
Essai Encadré : CRPE : quelles sont les suites ?
LEGISLATION & REGLEMENTATION
JURISPRUDENCE
- Cass. soc., n° 22-13.456 du 1er juin 2023 Harcèlement moral présumé : l'employeur peut contester la réalité des propos allégués par le salarié
- Cass. soc., n° 21-24.269 du 1er juin 2023 À l'issue d'un arrêt de travail « AT/MP » : à défaut de visite médicale de reprise, le contrat de travail reste suspendu – Jurisprudence constante
- CE., n° 46/0540 du 7 juin 2023 Un arrêté peut valablement prévoir le non-maintien d'une prime de service durant les périodes d'absence pour congé de maladie lié à la grossesse
- Cass. soc., n° 22-11.489 du 21 juin 2023 Inaptitude d'origine professionnelle : le salarié peut prétendre au paiement de l'« indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis »
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- Cass. soc., n° 21-18.142 du 28 juin 2023 La Cour de cassation reprécise dans un arrêt publié sa jurisprudence classique concernant le régime probatoire du harcèlement moral
